Geert Wilders et son Parti de la liberté (PVV) devenu la première force politique néerlandaise : c’est une première dans ce pays et c’est un évènement que personne n’avait anticipé. À commencer par les instituts de sondages qui avaient noté dans tous les derniers jours de campagne une dynamique en faveur de l’extrême droite, mais qui n’avaient pas vu venir cette victoire très large. Au lendemain du vote, c’est donc en effet une énorme surprise pour les observateurs de la scène politique néerlandaise. « C’est un choc énorme, un tremblement de terre », souffle le journaliste néerlandais Ariejan Korteweg, ancien correspondant à Paris du journal De Volkskrant. « Cela signifie que le centre ne tient plus, que le centre politique est en panne, comme ailleurs en Europe. Ce sont les extrêmes qui gagnent des voix et cela bénéficie surtout aux extrêmes droites ».
C’est surtout lors du scrutin de 2017, finalement remporté par le VVD de Mark Rutte, que l’attention s’était portée sur Geert Wilders, alors comparé à Donald Trump – tant pour ses prises de positions radicales et son positionnement populiste que pour sa coiffure excentrique et peroxydée. Mais c’est bien en 2023 que le tribun d’extrême droite emporte la mise. Qu’est-ce qui aura changé dans l’intervalle ? Le fait que tous les partis du centre et de droite ont choisi de « durcir » leur discours et leur positionnement sur le grand cheval de bataille de l’extrême droite, à savoir l’immigration. Mais aussi une stratégie de dédiabolisation « à la néerlandaise » qui semble avoir pleinement fonctionné, et qui a permis à son parti de convaincre au-delà de sa base. « Il a donné un visage beaucoup plus modéré que pendant les 15 dernières années, et c’était une grande surprise, explique Ariejan Korteweg. La plupart des gens ne veulent pas de ces propositions extrémistes, mais ils voulaient un Wilders modéré et c’est ce qu’il leur a donné. »
Un ton plus modéré
Geert Wilders a donc adopté un discours plus modéré – au point que certains l’ont affublé durant la campagne du sobriquet de Mild Wilders (« Wilders léger » en anglais) ! Un changement notable pour ce polémiste qui avait habité les Néerlandais à des prises de position radicales, notamment à l’encontre de l’islam. Ses discours contre les musulmans, contre les migrants et les ressortissants d’origines étrangères lui ont valu à plusieurs reprises d’être poursuivi en justice, et de recevoir plusieurs menaces de mort, ce qui lui vaut de vivre sous escorte depuis des années.
Mais, si son discours se fait plus modéré, son programme, lui, n’a pas changé. « C’est le ton qui a changé, le programme reste toujours fondé sur une rhétorique très anti-islam », pointe Christophe de Voogd, historien et président du Conseil scientifique de la Fondapol. « Par exemple, il veut tout simplement arrêter l’accueil des demandeurs d’asile. Il veut interdire les écoles musulmanes et le port du voile dans les services publics, y compris pour les usagers, et il veut inscrire le caractère judéo-chrétien de la culture hollandaise dans la Constitution. »
Tractations délicates
Ce programme anti-islam est bien connu des Néerlandais, mais cette fois, durant cette campagne électorale, Geert Wilders a plutôt insisté sur l’économie, sur le pouvoir d’achat, sur les difficultés du quotidien. « Les Pays-Bas sont confrontés à une très grave crise du logement », souligne Christophe de Voogd, « et l’astuce de Geert Wilders a été de faire le lien avec le droit d’asile en disant qu’il était absurde de donner la priorité aux réfugiés alors qu’il n’y a pas assez de logements pour les Néerlandais. Son thème général, son thème transversal, c’est qu’il faut arrêter de gaspiller l’argent pour les autres et le garder pour les Néerlandais. Et cela vaut pour l’aide aux demandeurs d’asile comme pour l’aide au développement, qu’il veut supprimer. »
Mais sera-t-il en mesure de mettre en œuvre ce programme radical ? Rien n’est moins sûr, car pour parvenir au pouvoir, Geert Wilders va devoir faire des concessions importantes. Avec 37 sièges, il est loin de la majorité nécessaire au Parlement, et il va devoir nouer des alliances. Ce devrait être aisé avec le Mouvement agriculteur-citoyens (7 sièges), mais plus ardu avec le Nouveau contrat social de Pieter Omtzigt (20 sièges) et le VVD, le parti de centre droit au pouvoir depuis 13 ans (24 sièges). Les tractations qui vont s’engager vont durer sans doute des semaines et elles seront suivies avec beaucoup d’attention en Europe. Car, si Geert Wilders parvient à former un gouvernement, cela aura également des répercussions au niveau européen : l’homme est en effet un farouche opposant à la construction européenne, et a même promis d’organiser un référendum sur le maintien de son pays au sein de l’UE. Même s’il reste aux portes du pouvoir, et même s’il échoue à enclencher le « Nexit », Geert Wilders avec cette victoire électorale aura en tout cas renforcé de façon éclatante le camp de l’extrême droite, à moins de sept mois des élections européennes.