En arpentant les rues de Sarajevo, Selma regarde sa ville avec le même émerveillement qu’au premier jour. La jeune Bosniaque se souvient parfaitement de son arrivée dans la capitale : “C’était la première fois que j’étais dans une ville où mon origine ethnique était majoritaire, où j’ai pu rencontrer des gens de mon ethnie et de ma religion.”
En Bosnie, identité et religion semblent indissociables. “On ne peut pas dire autre chose que Serbes orthodoxes, Croates catholiques et Bosniaques musulmans”, explique Danilo, qui se définit lui-même comme Serbe. Il habite à Banja Luka, à 200 km de Sarajevo, dans la République Serbe de Bosnie, l’une des deux entités qui composent le pays. Pour lui, “dire que je suis un Serbe de Bosnie, c’est simplement essayer de nous séparer de notre mère patrie et nous diviser”.
Après la chute de l’URSS en 1991 et la dissolution de la Yougoslavie, ces divisions ethniques basculent dans une guerre qui se propage en Bosnie-Herzégovine. Le bilan est lourd : plus de 100 000 personnes sont tuées en quatre ans, devenant le conflit le plus meurtrier sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale. En 1995, les accords de Dayton mettent fin au conflit en proposant une Fédération croato-musulmane et une République serbe. Mais les crimes de guerre et le massacre de Srebrenica reconnu comme génocide – mais pas par les Serbes – laissent une cicatrice toujours béante dans le pays, 30 ans plus tard.
“Nous n’avons jamais trouvé de terrain d’entente”
Aujourd’hui, chaque ethnie a sa propre version de l’Histoire. “Dans le pays, le système éducatif n’est pas uniforme. Il existe un programme en Republika Srpska et l’autre en Fédération de Bosnie”, souligne Selma. “La guerre civile n’est pas mentionnée dans nos cours d’Histoire, tout ce que nous apprenons provient des films, d’Internet, de nos dirigeants”, ajoute Danilo, pas toujours satisfait de la façon dont les élites politiques instrumentalisent le passé : “c’est un problème quand les politiciens s’en servent pour nous diviser”. Depuis plusieurs années, un sentiment nationaliste s’est installé dans le pays.
Malgré tout, Selma et Danilo s’entendent sur un point : aucun des deux ne veut quitter la Bosnie-Herzégovine. Pas avant d’avoir tout essayé. “Je n’ai pas envie, comme mes parents, d’aller ailleurs et de tout recommencer à zéro”, confie Danilo. “Nous devons faire de notre mieux pour que ce pays devienne la meilleure version de lui-même.”