Les élus et militants insoumis ont dû passer une nuit pour le moins agitée après la diffusion, jeudi 5 octobre, d’une enquête de France 2consacrée à la députée La France insoumise (LFI) Sophia Chikirou. Plusieurs de ses soutiens sont depuis montés au front pour dénoncer un reportage “sexiste“, comme le cadre LFI Bastien Lachaud, ou bien minimiser son contenu, qualifié de “tempête dans un verre d’eau” par la députée Ersilia Soudais.
L’enquête questionne la probité de l’élue de Paris ainsi que des dérives dans la gestion d’équipe, de ce personnage à la fois central et controversé de la galaxie insoumise. Une séquence décrit ainsi comment Sophia Chikirou aurait usé d’une insulte homophobe – “tafioles de merde” – pour qualifier dans un SMS les membres de la rédaction de la webTV Le Média – qu’elle dirigeait à l’époque – qui souhaitaient rédiger un communiqué concernant une fausse information diffusée à l’antenne.
Son rôle dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017 est également abordé par le magazine d’investigation. La justice, qui enquête depuis plusieurs années sur les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon, soupçonne Mediascop, la société de conseil en communication de Sophia Chikirou, d’avoir surfacturé certaines prestations, ce que nie l’élue de 44 ans, connue pour son franc-parler.
Selon le journal Le Monde, qui a aussi publié, mardi 3 octobre, une enquête sur la députée, cette dernière devrait être prochainement entendue par un juge en vue d’une éventuelle mise en examen pour “escroquerie aggravée”.
Ces révélations sont très mal vécues au sein de La France insoumise. Car Sophia Chikirou, connue en interne pour ses méthodes jugées brutales, n’est pas n’importe qui : sa relation sentimentale avec Jean-Luc Mélenchon, qui a été révélée par Mediapart, Le Monde et Closer, font d’elle une “intouchable”. “Elle travaille une ambiance autour d’elle : s’attaquer à Sophia, c’est s’attaquer à Jean-Luc, même si officiellement ils ne sont pas ensemble”, explique un collaborateur parlementaire LFI cité anonymement par Mediapart.
Les proches de Mélenchon font bloc derrière Chikirou
Les réactions du cercle rapproché de l’ancien candidat à l’élection présidentielle sont d’ailleurs éloquentes. Les proches de Jean-Luc Mélenchon font bloc pour la défendre. Lors du point presse de son groupe, mardi, la cheffe des députés insoumis, Mathilde Panot, a notamment jugé “profondément sexiste qu’on s’attaque régulièrement aux femmes politiques”. Quant à l’enquête sur les comptes de campagne de LFI, “ça fait cinq ans qu’on nous dit que bientôt nous allons être mis en examen, convoqués, etc. Ça fait cinq ans que nous attendons de savoir pourquoi est-ce qu’on a mobilisé 100 policiers pour des perquisitions [en 2018] dans 17 endroits différents sans aucune raison apparente”, a-t-elle dénoncé.
Mathilde Panot a également fait passer la consigne aux insoumis de refuser toute demande d’interview émanant de Complément d’enquête, selon le présentateur de l’émission Tristan Waleckx, qui a révélé un message de la députée du Val-de-Marne évoquant une “opération de dénigrement”, fruit de “8 mois de harcèlement”.
D’autres, au contraire, espèrent que ce qui constitue désormais une affaire Chikirou débouche sur une mise à plat du rôle de cette ancienne femme de l’ombre élue députée pour la première fois en 2022.
“Si elles sont confirmées, les révélations du Monde constituent des faits profondément contraires à l’éthique militante insoumise et au projet de société que nous défendons chaque jour en tant que député.es. Aux milliers de militant.es bénévoles sincères, Mme Sophia Chikirou doit des explications. Les pratiques doivent changer”, a ainsi écrit à l’AFP Pascale Martin, députée de Dordogne, qui avait déjà pris ses distances avec la direction de LFI au moment de l’affaire Quatennens.
“Vouloir à tout prix l’absoudre, c’est mission immorale”
“Je ne suis pas naïve, je sais que depuis les perquisitions, il y a aussi une volonté d’attaque de la FI et de toutes celles et ceux qui l’incarnent. Néanmoins des explications de Sophia et du mouvement doivent être données à l’ensemble des militants passés et présents qui sont impliqués dans ces campagnes et dans le mouvement”, a déclaré de son côté Danièle Simonnet, députée de Paris, lors d’une réunion du groupe LFI à l’Assemblée nationale.
Enfin, le médiatique psychanalyste Gérard Miller, compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise depuis plusieurs années, cofondateur du Média avec Sophia Chikirou en 2018, a expliqué sur X (ex-Twitter) pourquoi il avait accepté l’invitation à répondre aux questions de Complément d’enquête en fin d’émission.
“Pour ‘faire mieux’ que 2012, 2017 et 2022, il faut commencer par ne pas perdre sa boussole : quand des propos ou des actes sont indéfendables, on ne les défend pas, écrit-il. Quand Sophia Chikirou traite ses propres salariés de ‘tafioles de merde’ ou se rétribue aussi secrètement que généreusement pendant une campagne électorale où tous ses camarades sont bénévoles ou très peu payés, vouloir à tout prix l’absoudre, ce n’est pas seulement mission impossible, c’est mission immorale.”
Un point de vue qui reste toutefois bien isolé au sein de La France insoumise, où les voix discordantes avec celle du chef sont soit évincées, soit mises en retrait, où la démocratie interne est inexistante, et où Sophia Chikirou jouit d’une liberté presque sans limite.
Pour preuve ce message révélé par Libération, qui a aussi publié une enquête sur la députée de Paris le 2 octobre, envoyé récemment par l’élue dans le canal de discussion Telegram des députés LFI après que Clémentine Autain a fait part de son “ras-le-bol” des passes d’armes entre Jean-Luc Mélenchon et le leader communiste Fabien Roussel. En réponse à un député qui appelait à éviter les “chasses aux ennemis de l’intérieur”, Sophia Chikirou rétorque : “Tu as raison. Je suis comme Aymeric [Caron], antichasse. Je préfère attendre sur le bord de la rivière de voir passer leurs corps.”