- L’Assemblée nationale examinait cette semaine le projet de loi visant à accélérer la relance du nucléaire, qui devrait être largement adopté la semaine prochaine.
- Les écologistes, et notamment EELV, s’opposent à cette relance et proposent une Convention citoyenne pour, d’après eux, enfin organiser un débat juste sur la question.
- Pour Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’EELV, la France a pris un retard « climaticide » à cause de son choix du nucléaire, aux défend des énergies renouvelables. Elle répond à 20 Minutes.
Voilà un sujet sur lequel le gouvernement n’a pas de mal à trouver de majorité : la relance du nucléaire est presque un sujet consensuel, du RN à la majorité en passant par LR. Les communistes et quelques socialistes peuvent aussi se laisser séduire. Mais Europe-Ecologie – Les Verts, avec Marine Tondelier à leur tête, veulent relever le drapeau anti-nucléaire en France. La nouvelle secrétaire nationale des écologistes propose notamment une Convention citoyenne sur la question. Elle explique à 20 Minutes pourquoi les parlementaires font fausse route.
L’Assemblée examinait cette semaine le projet de loi sur l’accélération de la relance de l’énergie nucléaire en France. Une large majorité devrait l’adopter. Les sondages sont aussi favorables au nucléaire. Est-ce un combat perdu pour vous ?
Les sondages sont favorables aux énergies renouvelables beaucoup plus qu’au nucléaire. On fait croire aux gens qu’on va faire les deux : c’est faux. Le nucléaire nous coûte si cher que ça nous empêche de développer les renouvelables. Le problème, c’est que ces nouveaux EPR [le gouvernement souhaite en faire construire six] ne nous aideront pas à respecter l’accord de Paris, qui nous engage à baisser de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030. Car ces EPR ne seront pas construits, au mieux, avant 2035 selon la parole officielle du gouvernement, et 2040 selon les rapports en leur possession qui ont fuité. Et ils n’ont jamais réussi à en construire un seul ! Celui de Flamanville devait ouvrir en 2012 et coûter 3 milliards d’euros, nous sommes en 2023, il n’est toujours pas ouvert, et on en est à 20 milliards. Les parlementaires peuvent voter ce qu’ils veulent, je fais le pari que ces EPR ne seront pas en fonction ni en 2035 ni en 2040.
Les écologistes déplorent depuis longtemps le manque de débat sur notre stratégie énergétique. Vous réclamez cette fois une Convention citoyenne, sur le modèle de celle sur le climat…
Je suis stupéfaite de voir à quel point on a du mal à avoir un débat public sérieux et rationnel sur le sujet. On a un lobby nucléaire qui dépense un « pognon de dingue », qui a des relais très agressifs sur les réseaux sociaux. Mais si on prenait 150 personnes tirées au sort pour les faire travailler sur le sujet, en faisant en sorte qu’elles se fassent leur propre avis, il n’y a aucune raison qu’elles fassent le choix que vont faire les parlementaires.
Emmanuel Macron peut-il accéder à cette requête ?
Quand 3 millions de personnes défilent dans la rue pour les retraites et qu’il n’écoute pas, on se dit « à quoi bon ? ». Mais s’il ne l’organise pas lui, d’autres peuvent le faire : le Conseil économique, social et environnemental par exemple, ou des tiers de confiance. Nous mettons le sujet sur la table, et tous les moyens possibles seront explorés pour que cela ait lieu.
Une des critiques actuelles porte sur l’usage de l’eau pour refroidir les réacteurs, sur fond de sécheresse…
Un premier problème est l’utilisation de l’eau par le nucléaire : certes, une bonne partie est rendue à la rivière, mais 10 °C plus chaude que l’eau prélevée, ce qui fait qu’elle s’évapore davantage. Cela nuit aux écosystèmes, et cela va s’aggraver avec le réchauffement climatique. Mais il y a aussi l’eau consommée par les centrales nucléaires, c’est-à-dire utilisée par le processus de production et non rendue à la rivière : selon les chiffres officiels du gouvernement, elle représente de 20 à 30 % du total de consommation d’eau en France, davantage que tous les usages domestiques. Et d’ici à 2050, il y aura 40 % de débit en moins dans les fleuves et rivières françaises…
La Société française d’énergie nucléaire (Sfen) propose d’installer les centrales au bord de la mer pour remédier à ce problème…
Les écologistes ont proposé et fait adopter au Sénat un amendement qui empêche qu’on mette les nouveaux EPR en zones inondables. Cela concerne les centrales du Blayais, de Gravelines et Penly, toutes en bord de mer. On oublie que d’éventuels EPR qui ouvriraient en 2040 seront en fonction jusqu’en 2100. Sur une industrie aussi dangereuse que celle du nucléaire, choisir de les installer sur les côtes, c’est se remettre entre les mains du destin.
Vous l’avez abordé, une relance aussi massive et rapide du nucléaire pose des questions industrielles et techniques. Mais ne seraient-elles pas les mêmes en cas de massification de la production d’énergies renouvelables ?
D’abord, qu’importe le scénario, nucléaire ou renouvelable, on voit qu’on ne pourra pas continuer cette fuite en avant d’utiliser toujours plus d’énergie. Il faut activer un plan de sobriété, grâce à la réhabilitation thermique des logements et en réfléchissant à nos usages. Ensuite, la question est de savoir quel effort on fait, avec quelle énergie, et avec quels moyens. Ce n’est pas simple, car rien n’est simple en matière d’énergie. C’est pour cela qu’il y a un vrai conflit entre le nucléaire et les énergies renouvelables. L’Allemagne, par exemple, sera à 80 % d’énergies renouvelables en 2030, et est déjà à 49 %. Cela montre qu’il est possible d’augmenter rapidement les capacités d’un pays en la matière si on le décide.
Elle s’est engagée sur ce chemin bien avant nous…
Si on ne commence jamais, il sera toujours trop tard. La France s’était engagée à être à 23 % d’énergies renouvelables en 2022 auprès de la Commission européenne. C’était déjà très petit bras, et nous sommes le seul pays d’Europe à ne pas avoir respecté cet engagement. Nous n’étions en 2022 qu’à 19 %. C’est la honte, et nous passons à côté d’un énorme potentiel industriel et commercial. On a perdu beaucoup trop de temps dans le déploiement opérationnel, mais aussi en recherche et développement. Si on avait mis dans les EnR le quart de la somme utilisée sur le nucléaire, on aurait gagné tellement de temps. Malheureusement, notre foi absolue, irrationnelle dans le nucléaire, nous a fait prendre un retard dangereux et climaticide.
La crise énergétique, notamment liée à la guerre en Ukraine, semble avoir rapproché l’opinion des Français du nucléaire, même ceux qui ont des convictions écologiques…
La nature du débat public sur le sujet et l’argent déployé par le lobby pro nucléaire, particulièrement en France, portent leurs fruits. Or il faut expliquer aux Françaises et aux Français que la moitié des réacteurs nucléaires étaient à l’arrêt cet automne, et ce n’est pas à cause des écologistes. Parce que ça ne marchait pas, parce qu’ils sont en maintenance, parce qu’il y a des microfissures, des malfaçons, parce que cette filière nucléaire s’est elle-même mise dans l’impasse. Cela démontre le fait que tout miser sur le nucléaire est irresponsable.
Vous avez lancé des Etats généraux de l’écologie en vue de transformer l’écologie politique en un mouvement de masse. De quoi s’agit-il concrètement ?
Beaucoup de gens n’ont pas envie de s’engager dans un parti politique, ni le nôtre, ni un autre. Par contre, de plus en plus de gens sont écologistes dans un coin de leur tête, des électeurs d’un jour ou de toujours, des personnes inquiètes pour leurs enfants et leurs petits-enfants… Celles et ceux que Bruno Latour appelait « la classe écologique », potentiellement majoritaire dans ce pays. Mais cette classe n’est pas consciente d’elle-même, pas organisée, alors qu’en face, ils le sont.
Mon travail est de créer cet endroit pour toutes ces personnes et de leur confier les clés du camion. Nous avons mis à disposition des moyens de s’exprimer, une grande enquête populaire en ligne sur lesecologistes.fr, des cahiers de doléances, des ateliers. Nous allons à la rencontre des habitants, des ruralités, des quartiers populaires.
Au terme de cette phase d’écoute, il y aura une phase de réflexion : des personnes tirées au sort trancheront les questions qui se poseront. Cela se terminera à l’été par une grande convention de refondation pour lancer ce nouveau mouvement dont on espère qu’il aura, avant la fin du mandat, un million de sympathisants.
Quel bilan tirez-vous de ces trois derniers mois de mobilisation contre la réforme des retraites ?
D’abord, je refuse d’en parler comme si c’était fini, parce que je pense que tout commence. Les semaines qui viennent sont imprévisibles. Ensuite, ce qu’il s’est passé va bien plus loin que le sujet des retraites : la France a relevé la tête après une série d’humiliations. Cette réforme, c’était l’humiliation de trop. Quelque chose s’est mis en marche : un travail en intersyndicale qui n’avait pas existé depuis très longtemps, un soutien massif des Français à l’action syndicale, un travail entre les syndicats et les partis politiques progressistes.
Y compris si la réforme est bien mise en application ?
La seule défaite possible est celle du gouvernement. Soit parce qu’ils seront obligés de retirer cette réforme, soit parce qu’ils continueront de passer en force contre neuf Français actifs sur dix qui rejettent leur texte et que ça ne pourra que mal se passer. J’entends beaucoup nous dire : « on nous a dit qu’il fallait un mouvement social exemplaire. On s’est tenu à carreau. Mais si défiler dans le calme, l’apaisement, être poli et dire merci ne marche pas, on en tirera aussi les conséquences ».
Je veux alerter là-dessus, dans un contexte où l’on a un président de la République élu face à Marine Le Pen à seulement 58 %, grâce à la mobilisation de gens comme moi qui savent ce qu’est l’extrême droite au pouvoir. Tout cela va laisser des traces. Emmanuel Macron est le garant de l’unité de ce pays, de la cohésion de ses institutions, et il est en train de le fracturer. Je ne sais pas comment il peut faire abstraction de cela en vue de 2027.
Source: 20minutes