Dans quelques heures, quelques jours, quelques semaines ou au contraire, jamais ? Depuis vendredi 10 novembre, la péninsule de Reykjanes, dans le sud-ouest de l’Islande, vit dans la crainte d’une éruption prochaine du volcan Fagradalsfjall.
Alors que de larges fissures sont apparues sur des routes et bâtiments et que des milliers de séismes ont été enregistrés, autant de signes que le volcan s’est réveillé et que du magma s’approche de la surface terrestre, les autorités islandaises ont décrété l’état d’urgence et évacué les 4 000 habitants de la ville de Grindavik. Ces derniers n’ont pu revenir chez eux que très brièvement mardi 14 novembre pour récupérer des effets personnels. À condition de ne rester que quelques minutes et d’être accompagnés par des sauveteurs.
Volcanologue, chercheur émérite à l’Institut de physique du globe de Paris (CNRS), Patrick Allard décrypte pour France 24 cet épisode volcanique en cours à seulement quelques dizaines de kilomètres de Reykjavik, la capitale.
France 24 : Quelle est la particularité de l’épisode en cours dans la péninsule de Reykjanes ?
Patrick Allard : L’Islande est une terre volcanique : c’est une île créée par des éruptions volcaniques et qui est située à l’aplomb de ce qu’on appelle la dorsale médio-atlantique – une grande chaîne de volcans de 15 000 km de long qui traverse tout l’Atlantique du nord au sud et qui sépare les plaques tectoniques eurasienne et nord-américaine.
Avec une trentaine de volcans actifs, les éruptions dans ce pays n’ont donc rien de surprenant. Mais la péninsule de Reykjanes, elle, est restée inactive pendant 800 ans. L’activité volcanique s’y est réveillée en 2021. Depuis, elle a connu une éruption par an – en mars 2021, août 2022 et juillet 2023.
Si l’épisode en cours se concrétise, il s’agirait donc de la quatrième éruption en trois ans. C’est considérable. Or, tout porte à croire que cela va se produire puisqu’on assiste depuis plusieurs jours à une importante activité sismique [800 séismes ont été enregistrés sur la seule matinée du mercredi 15 novembre, selon l’Institut météorologique d’Islande (IMO)], due à une poussée du magma vers la surface.
Cette crainte perdure depuis maintenant près d’une semaine. Le risque d’une éruption diminue-t-il au fil des jours ?
Selon les dernières informations dont nous disposons, le magma se trouve actuellement entre 2 et 5 km de la surface. Mais alors que l’activité sismique était très intense pendant plusieurs jours, celle-ci semble maintenant ralentir. Il y a moins de séismes et ils sont moins forts. En parallèle, le sol continue de se soulever, de s’écarter et de s’effondrer mais de façon moins marquée. Cela veut dire que le magma circule moins vite.
Cela peut être le signe de deux choses : soit l’éruption va être avortée, soit le magma fait une pause et va finir par arriver en surface de façon accélérée. En d’autres termes, l’éruption peut démarrer d’un seul coup et nous surprendre ou ne jamais avoir lieu. On oscille entre ces deux scénarios même si celui d’une éruption semble bien plus probable.
Nous disposons de nombreux instruments pour surveiller l’activité volcanique d’une zone. Nous avons des capteurs pour mesurer la sismicité et la profondeur du magma. Nous pouvons aussi connaître très précisément les différents mouvements du sol. Tout cela nous permet d’anticiper un début d’éruption. Mais celle-ci n’est jamais certaine et elle peut toujours nous surprendre. Nous faisons des prévisions, pas des prédictions.
Quels sont les différents scénarios en cas d’éruption ? Pourquoi cet épisode inquiète-t-il plus que les précédents ?
Si cette éruption a lieu, elle ressemblera vraisemblablement aux trois précédentes. Ce sera une éruption dite fissurale. En poussant vers la surface, le magma a créé des fractures dans la roche. La lave en jaillira et s’écoulera sur plusieurs kilomètres.
Là où la situation est inquiétante, c’est que, cette fois-ci, l’éruption pourrait avoir lieu près de zones habitées puisqu’une faille de près de 15 km est apparue autour de Grindavik. Le point de sortie le plus probable de la lave est ainsi à 3 km au nord de la ville. En s’écoulant, le magma pourrait donc y provoquer des dégâts. L’éruption menace aussi la grande centrale géothermique située à proximité, qui permet notamment de chauffer la capitale Reykjavik.
Par ailleurs, on ne peut pas exclure que ce point de sortie de la lave soit encore plus proche de la ville que prévu, voire directement en-dessous. Ce serait évidemment une catastrophe. Grindavik serait alors totalement recouverte et rayée de la carte.
Autre scénario : l’éruption pourrait aussi avoir lieu dans l’eau, ce qui donnerait lieu à une éruption hydrovolcanique. On assisterait alors à une explosion de cendres et de gaz qui se répandront dans les airs avec des conséquences sur la biodiversité, le trafic aérien ou encore sur les parcelles agricoles.
Quoiqu’il en soit, tout laisse à croire que nous ne connaîtrons pas un scénario équivalent à 2010, avec l’éruption du volcan Eyjafjallajökull, qui avait entraîné une longue paralysie du secteur aérien.
Une pause de 800 ans et trois éruptions en trois ans, peut-être bientôt quatre. Assiste-t-on à un nouveau cycle éruptif dans cette zone ?
C’est une hypothèse qui émerge. D’autant plus qu’en parallèle de ces éruptions dans la péninsule de Reykjanes, l’Islande en a connu plusieurs autres depuis 2010. Les spécialistes commencent à penser que le pays vit actuellement un cycle d’activité tectonique et volcanique important. Si cela se vérifie, on assistera à plusieurs éruptions répétées dans cette zone dans les prochaines années.
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