Féminisation Des Syndicats : Une Progression AU Sommet Qui Reflète Une Pression Par Le Bas

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C’est une élection historique. Christiane Benner est devenue, lundi 23 octobre, la première femme à diriger IG Metall depuis la création du syndicat allemand, il y a 132 ans. Dans le milieu très masculin de la métallurgie, sa désignation, entérinée avec plus de 96 % des voix lors du congrès du syndicat à Francfort, est une révolution. 

Christiane Benner devra représenter 2,14 millions d’adhérents qui font d’IG Metall le plus gros syndicat d’Europe, couvrant des secteurs essentiels de la première économie européenne comme l’automobile, les machines-outils ou l’électronique. Arrivée en 1988 au sein d’IG Metall, elle a gravi tous les échelons de la hiérarchie syndicale, de déléguée en entreprise jusqu’à la vice-présidence, poste qu’elle occupait depuis huit ans. À titre de comparaison, son prédécesseur Jörg Hofmann a été numéro deux pendant seulement deux ans avant de prendre la tête du syndicat, en 2015. 

De l’autre côté du Rhin et de la Manche, d’autres femmes ont aussi été récemment élues à la tête de syndicats : les Françaises Sophie Binet (CGT) et Marylise Léon (CFDT) en 2023, et les Britanniques Sharon Graham (Unite) et Christina McAnea (Unison) en 2021. Une tendance due à plusieurs facteurs selon les expertes interrogées par France 24.  

Une tendance “inévitable” 

“D’une part, les politiques d’égalité et de mixité mises en place depuis longtemps ont commencé à porter leurs fruits”, analyse Cécile Guillaume, sociologue spécialiste de la place des femmes dans le syndicalisme. “D’autre part, la féminisation des adhérents a créé un contexte favorable à la nomination des femmes. Il était inévitable que les femmes accèdent aux plus hautes fonctions, car elles sont déjà présentes en nombre dans les instances intermédiaires. Il y a à la fois une pression pour féminiser par le bas et des politiques pour féminiser par le haut.” 

L’élection de Christiane Benner confirme ainsi la féminisation des organisations syndicales en Allemagne, où la cogestion avec les syndicats est la règle dans de nombreuses grandes entreprises. En avril 2021, l’Italo-Allemande Daniela Cavallo a pris la direction du puissant organe représentatif des salariés de Volkswagen, le Betriebsrat, tandis qu’un an plus tard, la Confédération allemande des syndicats (DGB) a élu Yasmin Fahimi à la présidence. 

Depuis quelques décennies, leurs voisins français prennent des mesures pour améliorer la représentation des femmes. “C’est une lame de fond qui prend sa source depuis les années 1990, où on a eu progressivement de plus en plus de femmes syndiquées et de plus en plus de femmes qui ont accédé à des responsabilités syndicales”, explique Rachel Silvera, économiste et maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre. 

Casser l’image du “moustachu comme leader syndical” 

La CFDT a été pionnière en instaurant des quotas dès 1982 et en élisant la première femme à la tête d’une grande organisation syndicale en France, Nicole Notat, entre 1992 et 2002. Ses instances nationales sont désormais strictement paritaires. La CGT, de son côté, a introduit la parité au sein de sa direction confédérale en 1999, et a adopté une charte pour l’égalité femmes-hommes en 2007. Solidaires, l’Unsa (Union nationale des syndicats autonomes) et FO (Force ouvrière) ont également mis en place des pratiques paritaires. 

Il a fallu attendre le mois de mars dernier pour que Sophie Binet devienne la première femme élue à la tête de la CGT, syndicat historiquement masculin où les femmes sont sous-représentées. Du fait du poids des “bastions masculins de l’industrie” (métallurgie, cheminots, chimie), explique Rachel Silvera, elles ne constituent que 39 % des effectifs syndiqués. “En mettant Sophie Binet au poste de secrétaire générale, la CGT casse l’image du ‘moustachu comme leader syndical’ et rend le syndicat plus attractif pour les femmes.”  

Au-delà du genre, la proximité sur le terrain pourrait également contribuer à attirer plus de femmes au sein de la CGT. “Sophie Binet est une femme engagée qui ne ménage pas sa peine pour être au contact des travailleurs”, poursuit l’experte. “Elle a notamment multiplié les visites sur des lieux de lutte et a soutenu les sans-papiers et les femmes en grève de Vertbaudet (une enseigne de puériculture).” 

“Pas des marionnettes” 

Avant l’élection de Sophie Binet, seules quatre femmes avaient dirigé des organisations syndicales en France. Et à l’échelle des fédérations (regroupement d’un même secteur d’activité) et des unions départementales, la part de femmes secrétaires générales ne dépasse pas les 30 % en moyenne en 2022-2023 dans les principales organisations syndicales. Lorsqu’elles atteignent un poste à responsabilité, les femmes peuvent être confrontées à un procès en légitimité.

“Les militants ont parfois l’impression que les syndicats choisissent une femme simplement pour respecter une obligation de quotas, sans tenir compte de ses compétences et de son expérience”, relève Sylvie Contrepois, sociologue du travail, spécialiste des transformations du syndicalisme de salariés en France, rappelant que la légitimité de Christiane Benner ou de Sophie Binet ne peut pas être remise en cause.  

“On a affaire à des militantes expérimentées, qui ont une véritable expertise, y compris dans le domaine de la politique”, explique Sylvie Contrepois. “Elles ne sont donc pas seulement des marionnettes qu’on va pouvoir manipuler, mais de vraies dirigeantes.” 

Les inégalités, le nerf de la guerre 

Si l’écart de représentation demeure important, c’est également à cause des inégalités femmes-hommes dans la sphère privée. En 2022, 68 % des femmes en France s’occupaient des tâches ménagères tous les jours, contre 43 % des hommes, d’après le dernier rapport de l’Institut européen pour l’égalité des genres.

“Les femmes restent encore en première ligne pour les tâches domestiques le soir, ce qui limite leur disponibilité”, analyse Sylvie Contrepois. “Elles sont moins enclines que les hommes à participer aux activités de convivialités après le travail, lors desquelles se jouent les promotions, mais aussi les prises de responsabilités syndicales”, poursuit l’experte, soulignant un “phénomène de cooptation”. “C’est le même mécanisme de plafond de verre que dans les entreprises.”

Le type d’emplois occupés par les femmes contribue aussi à limiter leur accès aux responsabilités syndicales, étant plus souvent employées à temps partiel, sous contrat précaire ou encore de manière isolée, comme dans le secteur de l’aide à domicile. 

Sélection implicite 

La présence des femmes dans les syndicats est une préoccupation à tous les niveaux, y compris dans les entreprises et les administrations. Malgré les progrès accomplis, les femmes restent sous-représentées parmi les élus du personnel dans de nombreux secteurs d’activité, selon une étude publiée en 2018 par la Dares. Elles sont encore souvent cantonnées à des questions spécifiques comme l’égalité professionnelle ou la diversité.  

Et pour celles qui réussissent à atteindre les plus hauts postes, il existe encore une forme de sélection implicite. “Il est intéressant de noter que les femmes qui accèdent à la tête des syndicats sont en général des femmes blanches, qualifiées ou qui se sont qualifiées en suivant une formation syndicale”, relève Cécile Guillaume.  

Et elle conclut : “Il est possible que les femmes peu qualifiées ou issues de l’immigration soient moins susceptibles d’être élues à ces postes. Cette forme de sélection est à noter, même si elle n’enlève rien au mérite des femmes élues.” 

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