Charles Michel, Président du Conseil Européen : “Les Russes Ont Cyniquement Trahi Les Arméniens”

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Le Conseil européen s’est réuni à Grenade pour un sommet informel sur l’élargissement du club européen et la crise migratoire, sur fond d’inquiétudes sérieuses sur le soutien à l’Arménie dans le conflit qui l’oppose à l’Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabakh. Cette rencontre intervient après une réunion historique des ministres des Affaires étrangères de l’UE en début de semaine à Kiev pour exprimer la solidarité des 27 avec l’Ukraine. Deux réunions d’importance dont nous parlons avec le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel. 

Malgré la solidarité affichée de l’Union européenne envers l’Ukraine lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des 27 à Kiev en début de semaine, l’élection de Robert Fico en Slovaquie a suscité une certaine inquiétude au sein de l’UE. Ce populiste proche de Viktor Orban, élu lors d’élections anticipées, a laissé entendre qu’il ne fournirait ni argent ni armes. Le président du Conseil européen rappelle la position d’unité claire de l’Union européenne : “On a et on va continuer à soutenir massivement l’Ukraine avec des moyens financiers, avec de l’équipement militaire et on sanctionne très durement la Russie. (…) Onze paquets de sanctions ont été décidés contre la Russie à l’unanimité, avec le soutien de la Hongrie, et il faut dire à tous les Européens que quand on agit de cette sorte-là, ce n’est pas simplement pour soutenir l’Ukraine, c’est aussi pour défendre notre propre sécurité et notre propre stabilité. Parce qu’une faiblesse de l’Union européenne, aujourd’hui, donnerait le sentiment que c’est la loi du plus fort.” “Ça ne veut pas dire que c’est simple”, souligne-t-il, et “autour de la table du Conseil européen, on prendra en compte les préoccupations exprimées par les gouvernements légitimes. (…) Mais au moment où l’on se parle, il n’y a pas encore de gouvernement en Slovaquie puisqu’il n’y a pas encore une majorité parlementaire.”

Avec les élections du 30 septembre en Slovaquie et l’approche des élections polonaises le 15 octobre, “il est certain qu’il y a des tentatives venant probablement de régimes autoritaires d’essayer de fragiliser les régimes démocratiques”, selon Charles Michel, “et il y a une réponse à cela, c’est la détermination et la fermeté de tous les démocrates sur le plan européen pour contrer ces tentatives de déstabilisation, de désinformation” notamment dans le cadre de la Communauté politique européenne. “Nous allons continuer à discuter dans les mois qui viennent dans cette enceinte-là, de la manière de mieux coopérer contre les cybermenaces, contre les cyberattaques, contre les tentatives de désinformation pour détecter rapidement quand il y a une tentative de manipulation” pour que les citoyens “soient parfaitement informés et éclairés, de manière transparente et honnête, au moment où ils font des choix politiques démocratiques”.

L’Europe élargie de la Communauté politique européenne s’est réunie à Grenade les 5 et 6 octobre. Parmi d’autres dossiers, il y a bien sûr été question de l’Ukraine, en présence de Volodymyr Zelensky, mais aucune annonce officielle quant à sa candidature à l’entrée dans le club européen n’a été faite et ne sera faite avant la fin de l’année. Charles Michel évoque l’échéance de 2030 “pour l’obligation d’être prêt des deux côtés”. L’Europe a selon lui “pendant très longtemps procrastiné” sur la question de l’élargissement : par exemple depuis 20 ans avec les pays des Balkans occidentaux “on a trouvé beaucoup de raisons pour postposer un certain nombre de décisions qui auraient dû être prises”. Mais la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine “modifie fondamentalement l’avenir de l’Europe et de sa sécurité (…) et dans différents pays européens, le débat a beaucoup changé” sur cette question depuis février 2022, car l’enclave des Balkans occidentaux “est l’objet de tentations et de tentatives d’influence de la part de forces autocratiques qui n’ont pas le même projet que le projet européen (…), et c’est un danger pour notre avenir. On n’a donc pas le droit de procrastiner davantage encore”. 

Mais les prises de décisions, déjà difficiles à 27, risquent de l’être plus encore dans une Europe à plus de 30. C’est ce que craignent la France et l’Allemagne, qui proposent moins d’unanimité et plus de majorité qualifiée. Selon le président du Conseil européen, “il est important que l’on démarre ce débat et les solutions nécessiteront de la nuance, car entre d’une part tout à l’unanimité, ou bien demain tout à la majorité qualifiée, il y a probablement un chemin intermédiaire plus intelligent”. Charles Michel évoque plusieurs pistes : décider à l’unanimité sur certains sujets qui le nécessiteraient, faire entrer la notion d’abstention constructive, considérer que le droit de véto doit être motivé par des situations qui touchent les intérêts fondamentaux d’un pays membre… 

Autre gros dossier de l’Union européenne lors de cette réunion de Grenade, le pacte sur l’asile et la migration, qui a fait récemment de vraies avancées sur la répartition des réfugiés entre les pays européens. Charles Michel se félicite de ces avancées, mais rappelle que “la première priorité, c’est de veiller à ce que nos frontières soient protégées, de veiller à ce que ce ne soit pas les trafiquants et les criminels qui décident, moyennant de l’argent, qui a le droit d’entrer sur le sol de l’UE, en favorisant, en développant la coopération effective entre nos services de police, nos services de justice, en partenariat avec des États tiers pour réellement appréhender ces groupes criminels transfrontaliers”. Pour Charles Michel, il ne s’agit pas juste d’accords avec la Tunisie ou d’autres pays de transit, mais de “regarder les interactions avec les pays d’origine. Et c’est ce débat que nous avons au Conseil européen pour veiller à ce que de manière opérationnelle, on n’ait pas simplement un mémorandum avec un pays qui serait déconnecté du regard général. Si on veut être efficace, une approche globale est absolument indispensable”. Mais la décision de la Tunisie, cette semaine, de finalement rejeter l’accord de coopération signé en juillet, après que l’Union européenne a proposé une aide financière et au motif que “la Tunisie n’accepte pas la charité ou l’aumône” et parce que “cette proposition est en contradiction avec le protocole d’accord signé à Tunis” confirme la difficulté de ces partenariats.

Depuis septembre 2022 et la première offensive de l’Azerbaïdjan sur l’enclave arménienne du Haut-Karabakh, l’Union européenne d’un côté et les États-Unis de l’autre mènent des négociations pour régler ce conflit. C’est pourquoi Charles Michel se dit “choqué et extrêmement déçu par cette décision unilatérale prise par l’Azerbaïdjan de déclencher une opération militaire”. Le Kremlin, de son côté, était censé être le garant des accords tripartites conclus il y a trois ans. Selon Charles Michel, “les Arméniens ont vu de manière éclatante à quel point les Russes les avaient cyniquement trahis, de quelle manière il les a abandonnés. Et nous réagissons de manière favorable et positive à cet engagement de l’Arménie de se rapprocher de l’Union européenne et nous devons accélérer le processus de rapprochement avec l’Arménie”. Mais selon certains, l’UE ne s’est pas assez fermement exprimée en faveur de l’Arménie, voire est absente de ce conflit. Avec la guerre en Ukraine, pour remplacer les importations de gaz russe, les 27 ont signé un accord gazier avec l’Azerbaïdjan en février 2023 et l’UE a augmenté ses importations de gaz, devenant le premier client de cette dictature. Cela ne s’expliquerait-il pas les réticences des 27 à opérer des sanctions contre l’Azerbaïdjan ? Charles Michel s’en défend fermement. “La réponse est non ! On n’est pas intimidé, on n’est pas impressionné par cette réalité d’accord gazier. (…) On a beaucoup plus qu’autrefois de capacité de diversification, y compris en regardant vers le sud de l’Europe et en regardant vers l’autre côté de la Méditerranée. (…) Nous nous comportons dans cette médiation avec une grande sincérité. On n’a pas d’agenda caché. L’intérêt de l’Europe, c’est qu’il y ait de la paix, de la stabilité, de la sécurité et de la prospérité dans cette région du Caucase du Sud, c’est de défendre nos valeurs auxquelles nous croyons profondément et la dignité des populations arméniennes qui vivent dans cette région depuis extrêmement longtemps. On n’abandonne pas”.

Dans à peine plus d’un an, les États-Unis procéderont à l’élection du successeur de Joe Biden à la Maison Blanche. Certains prévoient un retour de Donald Trump, qui changerait véritablement les cartes géopolitiques. Charles Michel ne souhaite pas spéculer sur le résultat de ce scrutin, mais il l’affirme, “quel que soit l’avenir des orientations politiques aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, nous devons travailler pour renforcer la stratégie de souveraineté de l’Union européenne. (…) Pendant trop longtemps, on n’était pas assez nombreux à croire dans une Europe de la sécurité et de la défense. (…) Les États-Unis sont un allié, les choses sont tout à fait claires, mais nous devons aussi engager avec d’autres régions du monde : l’Afrique, l’Amérique latine, la Chine”, conclut-il.

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