Gaullisme énergétique. Au nom de la souveraineté économique, président d’un pays alors dépendant des importations de charbon, Charles de Gaulle fait de la France une championne du nucléaire civil dès les années 60.
Aujourd’hui, l’Hexagone puise quelque 70 % de son électricité de l’énergie nucléaire, ce qui fait de la France le pays le plus dépendant du nucléaire dans le monde.
La pays se positionne également comme le premier exportateur net d’énergie nucléaire, générant ainsi plus de 3 milliards d’euros de revenus annuels. Parmi les principaux pays auprès desquels la France se pourvoit en uranium : le Niger.
Le coup d’État militaire au Niger aura-t-il un impact sur la vente d’uranium à l’ancienne puissance coloniale ? En France, l’opposition conteste la prépondérance du nucléaire dans le mix énergétique français, invoquant la nécessité de “l’indépendance énergétique”, maintes fois évoquée par le président Macron lui-même.
“Le Niger fournit à la France l’uranium dont elle a besoin pour ses centrales nucléaires… Rappel : l’énergie nucléaire n’est pas synonyme d’indépendance énergétique”, a déclaré la députée écologiste Sandrine Rousseau sur X (anciennement Twitter) le 29 juillet.
Sources diversifiées, approvisionnement sécurisé
Selon l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire (AEN), le Niger a conservé une part de marché comprise entre 4 et 6 % du commerce mondial de l’uranium au cours de la dernière décennie. Une part modeste donc, qui masque les importantes exportations du Niger vers la France, leur uranium représentant non moins de 18 % de la consommation française entre 2005 et 2020.
Les principaux fournisseurs de la France, le Kazakhstan et l’Australie, ont vendu respectivement 20 % et 19 % de leur uranium. L’Hexagone a parallèlement accru ses achats d’uranium auprès de l’Ouzbékistan.
Cette diversification des partenaires est la pierre angulaire de la stratégie de sécurité énergétique d’EDF. L’entreprise entend ainsi résister aux aléas du marché, anticipant certaines virtualités….comme l’impossibilité d’importer de l’uranium nigérien.
“La France ne dépend pas d’un site, d’une entreprise ou d’un pays en particulier pour assurer la sécurité de l’approvisionnement de ses centrales électriques”, a déclaré anonymement un fonctionnaire à Politico, le 31 juillet.
L’agence nucléaire de l’UE, Euratom, qui tire un quart de son uranium du Niger, tient un discours similaire. “Si les importations en provenance du Niger sont réduites, il n’y a pas de risques immédiats pour la sécurité de la production d’énergie nucléaire à court terme”, a assuré Euratom à Reuters.
La Commission européenne a déclaré que les 27 disposaient de “stocks d’uranium suffisants pour atténuer tout risque d’approvisionnement à court terme”.
Autre inquiétude, celle d’une hausse du prix de l’uranium, si l’offre venait à se réduire. Le prix du gaz et du pétrole ont ainsi augmenté du fait de la mise au ban de la production russe après le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Mais avec l’énergie nucléaire, ce risque est atténué par le faible coût que représente le combustible dans la production d’électricité : l’AEN estime que l’uranium ne représente qu’environ 6 % du coût total, les principales dépenses provenant de la construction et de l’entretien des centrales.
Paris-Niamey, discorde et proximité
Il n’est pas certain, en outre, que le Niger puisse se passer de la demande française d’uranium sans lui-même subir un brutal déclin économique : 33 % des exportations nigériennes sont destinées à la France, et leur quasi-totalité est constituée de combustible radioactifs.
Malgré ses vastes réserves d’uranium, ce pays d’Afrique de l’Ouest demeure un des moins développés au monde. Il occupe la 189e place sur 191 dans le classement de l’indice de développement humain (IDH) en 2021.
De fait, la maigre plus-value que le Niger tire de sa proximité économique avec Paris est un sujet de discorde depuis son indépendance en 1960. Les présidents nigériens successifs ont exigé d’Orano (ex-Areva) – producteur de combustible nucléaire contrôlé par l’État français – des prix d’achat plus élevés.
Comme en 2007, année où l’ancien président Mamadou Tandja obtenait une augmentation de 40 % du prix de l’uranium payé par Areva.
Aujourd’hui, la quasi-totalité des employés d’Orano au Niger sont recrutés localement, mais l’entreprise détient toujours une part majoritaire de la Somaïr, la société publique nigérienne de traitement de l’uranium. Malgré l’instabilité de la situation, Orano a assuré à France 24 qu’elle poursuivait ses activités au Niger. “La sécurité de tous nos employés au Niger et de nos sites est surveillée”, a déclaré un porte-parole de l’entreprise à France 24.
Risques géopolitiques, questionnements éthiques
“L’armée nigérienne semble continuer d’assurer la protection des sites d’Orano. Maintenant que ces militaires ont changé de camp, quelle sera la contrepartie diplomatique que la France devra offrir pour maintenir les activités d’Orano au Niger ?” s’interroge Cyrille Cormier, ingénieur spécialisé dans la transition énergétique.
“Le risque pesant sur l’approvisionnement en uranium est certes faible à court terme, mais la dépendance à l’uranium soulève des questions d’un autre ordre,” poursuit l’ingénieur. Car “l’impératif d’approvisionnement nous conduit à nouer des partenariats ‘durables et solides’ avec des pays qui, pour certains, bafouent les droits de l’Homme, voire qui peuvent être belliqueux,” explique-t-il.
Après l’invasion de l’Ukraine par Moscou, “il est devenu évident que des pays comme la Russie peuvent utiliser l’énergie comme une arme économique.”
Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan représentent à eux seuls la moitié de l’uranium naturel importés par la France, note Cyrille Cormier. “Si nous devions nous détourner de l’uranium nigérien, nous serions amenés à maintenir les achats de combustible en Asie centrale. Or, tout le combustible radioactif de ces deux pays est acheminé sous le contrôle de Rosatom, l’entreprise de l’énergie nucléaire nationale russe.
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“Par ailleurs, deux tiers de l’uranium – enrichi – importé en France provient de Russie, ce qui équivaut à financer indirectement la guerre menée en Ukraine,” explique le spécialiste de l’énergie.
Le Canada et l’Australie sont respectivement les troisième et quatrième fournisseurs d’uranium de la France, selon des estimations datant de 2021.
“Nous sommes au cœur d’une transition énergétique globale”, souligne pourtant l’ingénieur. “À l’heure où une guerre énergétique se déploie à l’échelle mondiale, ces alliés d’aujourd’hui verront-ils toujours un intérêt à aider la France à maintenir sa compétitivité économique en lui fournissant un combustible bon marché ?” questionne Cyrille Cormier. Selon lui, les enjeux énergétiques vont bien au-delà de la simple question de l’approvisionnement en uranium. Il s’agit de faire des choix stratégiques dans un monde en pleine mutation.