“La culpabilité du survivant” : en Grèce, les incendies ravivent le souvenir de la tragédie de Mati

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Il y a cinq ans, Lydia Gerakaki s’est retrouvée dans une situation de vie ou de mort. Assise dans sa voiture avec sa grand-mère et son chien de compagnie, elle regardait avec terreur les flammes engloutir le village de Mati, où elle avait passé tous ses étés depuis l’âge de 3 ans.

Cette catastrophe de 2018 a été classée deuxième pire incendie du XXIe siècle en Grèce. Attisées par des vents forts, les flammes ont rapidement ravagé Mati, prenant de nombreuses personnes au dépourvu et les piégeant dans leurs maisons ou voitures.

Les responsables locaux des pompiers et de la police furent totalement dépassés, si bien que des procureurs grecs inculpèrent plusieurs hauts gradés d’homicide involontaire par négligence. “Des personnes sont décédées car la police leur a indiqué un mauvais chemin et qu’elles ont fini par rouler en direction des flammes”, se souvient Lydia Gerakaki. Au total, 104 personnes sont mortes lors de ces incendies.

Cinq ans plus tard, alors que des incendies ravagent à nouveau la Grèce, notamment l’île de Rhodes où 30 000 personnes ont dû être évacuées, les autorités sont encore une fois la cible de critiques. De quoi raviver le souvenir de la tragédie de 2018.

Tout a commencé un lundi d’été comme un autre à Mati. Après avoir passé cette journée du 23 juillet 2018 avec sa famille à la plage, Lydia Gerakaki est rentrée à la maison. Sa mère, sa grand-mère et sa petite sœur se sont installées devant la télévision avant de passer à table pour dîner. Elles ont regardé avec stupéfaction les images de pompiers luttant pour éteindre un incendie qui faisait rage depuis le matin à Kineta, à environ une heure de route à l’ouest de Mati. Premier avertissement.

Mais alors que les autorités se concentraient sur Kineta, l’incendie s’est propagé, atteignant rapidement Rafina, le village voisin de Mati. “Le ciel est devenu orange et jaune, il y avait beaucoup de fumée, se souvient Lydia. Puis il y a eu une coupure de courant.” À ce moment-là, la famille comprend que quelque chose ne va pas. Elle charge ses deux voitures avec l’essentiel – des médicaments, de l’eau et des vêtements – et s’assure que le chien et les chats sont à bord. Au moment de partir, l’incendie a déjà atteint la maison voisine.

“Personne n’a été évacué, ni prévenu, explique Lydia Gerakaki. La seule façon pour les gens de savoir ce qu’il se passait était de voir que d’autres habitants commençaient à s’enfuir.”

“Elle m’a sauvé la vie ce jour-là”

À la hâte, Lydia et sa mère prennent chacune le volant d’une voiture et commencent à rouler, mais elles se retrouvent presque immédiatement séparées après avoir pris des directions opposées. Lydia se retrouve alors bloquée au centre du village, sa grand-mère assise à l’arrière, tout comme d’autres habitants qui essaient eux aussi de s’enfuir. “C’est là que j’ai commencé à paniquer”, raconte-t-elle.

“J’avais l’impression d’être dans un film. Tout était figé, le temps ralentissait. J’ai baissé ma vitre pour regarder autour de moi et essayer de reconnaître des visages. J’étais coincée, je devais sortir de là sans quitter ma voiture.”

La jeune femme remarque finalement Joanna, une amie de sa mère, dans une voiture en sens inverse à proximité. Joanna criait par sa fenêtre et essayait d’aider les gens en leur indiquant d’où venait le feu, se souvient Lydia Gerakaki. “J’ai réussi à trouver la patience de la laisser finir sa phrase, plaisante-t-elle. Puis j’ai demandé : ‘Mme Joanna, que fait-on ?'”. L’amie de sa mère la regarde, puis lui dit de fermer sa fenêtre et de faire un demi-tour devant sa voiture pour pouvoir partir dans la même direction. “Elle m’a sauvé la vie ce jour-là.”

Le téléphone de Lydia n’a plus que 3 % de batterie lorsque sa mère l’appelle pour lui dire où elle se trouve. La jeune femme s’empresse de la rejoindre, mais un pneu de sa voiture crève. La famille décide finalement de s’entasser dans le deuxième véhicule pour rouler jusqu’à leur résidence principale en banlieue nord d’Athènes.

Après une nuit sans trouver le sommeil, elles décident de retourner à Mati, où les flammes se sont calmées. Les dégâts sont considérables. “C’était comme dans un film de guerre, témoigne Lydia. Ça sentait l’odeur du brûlé. Il y avait de la fumée partout, encore quelques flammes ici et là… Tout avait été rasé.”

Par chance, leur maison est toutefois épargnée. Mais pour Lydia Gerakaki, les pertes sont ailleurs. “J’entends tellement de gens parler en ce moment de la perte de leur maison et des souvenirs qui y sont attachés… Je les comprends totalement, mais je n’ai jamais eu le luxe de pleurer ces souvenirs car j’avais des vies humaines à pleurer.”

Lydia Gerakaki a conscience d’être passée tout près de la mort. Bien qu’hésitante à se qualifier ainsi, elle est une rescapée qui sait désormais quoi faire en cas d’incendie. “J’ai la culpabilité du survivant, dit-elle. Mais je sais que c’est ma responsabilité de raconter mon histoire. Il faut se souvenir de cette catastrophe pour qu’elle n’arrive plus jamais.”

“Éduquer les gens pour qu’ils soient mieux préparés”

Après l’incendie, Lydia se rend compte qu’elle n’était “absolument pas préparée” et décide alors de se lancer dans le bénévolat. Depuis 2018, elle vient en aide aux victimes d’incendies et sensibilise la population aux dangers des feux de forêt grâce à une organisation appelée Salvia, créée par sa mère et un autre habitant de Mati.

Son but est de fournir un soutien financier et social aux victimes d’incendies via des aides médicales, de l’aide à la réinsertion ou de l’aide psychologique. Ses membres collectent également des témoignages de rescapés pour élaborer des protocoles d’urgence pour les populations en cas de futur incendie. “Nous essayons d’éduquer les gens pour qu’ils soient mieux préparés, de toutes les manières possibles”, explique Lydia Gerakaki, car parfois “tout ce que vous pouvez faire, c’est prendre vous-même les choses en main”.

Son premier conseil est de ne jamais sous-estimer l’importance d’évacuer le plus tôt possible. “Nous n’avons jamais eu l’occasion de le faire”, regrette-t-elle. “Et même si cela peut paraître très exagéré… il vaut mieux prévenir que guérir.”

Pour Yaël Lecras, sapeur-pompier français et vice-président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNSPP), évacuer de son propre chef peut aussi compromettre les efforts pour éteindre un incendie. Tout dépend du timing, dit-il : “Vous pouvez partir bien à l’avance et le faire sans entraver les services d’urgence. Mais si les autorités locales décident de ne pas donner immédiatement l’ordre d’évacuation, c’est souvent parce qu’elles ont besoin d’accéder à certaines routes pour combattre le feu.”

En revanche, Yaël Lecras et Lydia Gerakaki se rejoignent sur la prévention. Les mesures préventives prises par les particuliers et les services de police ou les pompiers sont essentielles pour éviter de possibles catastrophes.

Le vice-président du SNSPP juge essentiel de retirer tout débris ou broussailles autour de la maison. Cela permet de limiter ce qui est inflammable et peut même empêcher un incendie de se déclarer. En France, cette action est obligatoire en vertu du code forestier.

“Neuf fois sur dix, les incendies sont d’origine humaine”, explique Yaël Lecras, tout en précisant que cela ne signifie pas nécessairement un incendie criminel intentionnel. “Les incendies démarrent à proximité d’une activité humaine… Quelque chose comme une étincelle s’envolant d’une tronçonneuse sur un chantier peut suffire à provoquer un départ de feu.”

Être prêt à partir et connaître son environnement

Le pompier professionnel et Lydia Gerakaki s’accordent également sur l’importance d’avoir toujours prêt un “sac d’évacuation”. Lors de l’incendie de Mati en 2018, la famille de Lydia aurait pu gagner de précieuses minutes si les voitures avaient été prêtes à partir plus rapidement.

“Un peu d’eau, quelques médicaments essentiels, des vêtements et votre passeport suffisent”, détaille Yaël Lecras. “Cela peut paraître intimidant, mais il est essentiel d’être prêt à partir. En cas d’incendie, la situation peut s’aggraver rapidement.”

Lydia Gerakaki en convient. “Vous n’aurez pas le temps de vous souvenir de tout car vous serez en panique.” Elle insiste sur l’importance de porter des vêtements qui couvrent l’ensemble du corps, de préférence en cuir ou un autre matériau peu inflammable. Une serviette mouillée ou un masque en cas de contact avec de la fumée peut aussi aider, ajoute Yaël Lecras, “mais [la fumée] peut rapidement devenir extrêmement toxique, donc ce n’est pas une solution”.

Yaël Lecras insiste enfin sur l’importance de connaître son environnement, surtout en voyage. “Savoir où vont les routes, se familiariser avec les systèmes de transport en commun, connaître la géographie du lieu”, énumère-t-il. “Même chose pour le bâtiment dans lequel vous vous trouvez. Il faut savoir où sont situées les sorties de secours et où trouver de l’eau.”

Mais au-delà de toutes les initiatives personnelles qui peuvent être prises, Lydia Gerakaki estime que c’est l’entraide mutuelle qui a sauvé sa vie. Elle voue une gratitude éternelle à l’amie de sa mère, Joanna, qui lui a donné l’instruction de faire demi-tour avec sa voiture le jour de l’incendie, lui permettant ainsi de se mettre en sécurité.

Bien qu’elle vive désormais à Londres, Lydia a revu Joanna plusieurs fois depuis l’incendie. “Je lui ai demandé de devenir ma marraine, étant donné que je n’avais aucun lien avec ma marraine d’origine”, dit la jeune femme en souriant.

Et d’un seul coup, les souvenirs de ce triste jour affluent. D’une voix tremblante, elle termine malgré tout sa phrase : “Je ne veux même pas imaginer ce qui se serait passé si je ne l’avais pas vue.”

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