Le flirt du Bloc québécois avec la CAQ est terminé. Le parti fédéral est rentré à la maison, faisant du Parti québécois son interlocuteur direct à l’Assemblée nationale.
Yan Plante est vice-président à l’agence de relations publiques TACT. Il est un ex-stratège conservateur ayant conseillé l’ancien premier ministre Stephen Harper lors de trois élections. Comptant près de 15 ans d’expérience en politique, il a également été chef de cabinet de l’ex-ministre Denis Lebel.
Vous avez remarqué un changement dans le positionnement stratégique du Bloc québécois récemment ? Plus aligné avec le Parti québécois qu’avec n’importe quelle autre formation politique québécoise — ce qui avait longtemps été la norme autrefois, mais ne l’était plus ces dernières années.
Depuis l’arrivée d’Yves-François Blanchet à la direction du Bloc en janvier 2019, trois mois après la victoire convaincante de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault sur la scène québécoise, on avait en effet beaucoup vu le Bloc se tenir près des positions de la CAQ. Il faut dire qu’au même moment, le Parti québécois venait d’enregistrer ce qui était à ce moment-là la pire performance électorale de son histoire. Nombreux étaient ceux qui croyaient que nous assistions au début de la fin du PQ.
Pour comprendre ce qui se passe présentement, il faut aussi rappeler que lors de l’arrivée de M. Blanchet, le Bloc remettait en question sa mission fondamentale. Devait-il miser principalement sur la promotion de la souveraineté ou sur la défense des intérêts du Québec ?
En règle générale, prôner l’indépendance a le potentiel de mobiliser ceux et celles qui souhaitent que le Québec devienne un pays. Mais cela risque également d’aliéner l’électorat qui ne veut pas entendre parler de la question nationale. À l’inverse, se camper dans la défense des intérêts du Québec offre la possibilité de ratisser beaucoup plus large dans la population, un peu comme le nationalisme de François Legault, mais risque de déplaire aux plus pressés des indépendantistes. Ce débat avait marqué le très court passage de Martine Ouellet comme cheffe du Bloc.
Sans mettre de côté l’indépendance, Yves-François Blanchet avait opté pour la stratégie de se coller aux positions du gouvernement caquiste la plupart du temps. On sentait même parfois une surenchère quasi malaisante entre bloquistes et conservateurs sur qui allait dire oui le plus rapidement aux demandes du gouvernement Legault, comme dans les dossiers de la déclaration de revenus unique ou des pouvoirs en immigration.
Les échos sur les deux collines laissaient croire que cela déplaisait à certains au sein du mouvement souverainiste. Que le cousin bloquiste adopte les positions consensuelles du Québec était une chose. Mais qu’il donne parfois l’impression de faire la promotion du programme de la CAQ, partiellement responsable de la situation comateuse du parti de René Lévesque, en était une autre…
Un tournant arriva avec les élections fédérales de 2021. Le premier ministre du Québec décida alors d’utiliser son « capital politique » personnel pour tenter de déloger le gouvernement de Justin Trudeau. Il fit un plaidoyer incitant les Québécois à voter contre les partis centralisateurs sur la scène fédérale — les libéraux, les néo-démocrates et les verts. Bien que François Legault ait laissé deux options acceptables aux Québécois — le Parti conservateur et le Bloc québécois —, il a ajouté qu’il serait préférable d’avoir un gouvernement conservateur minoritaire à Ottawa. Sa démarche a été largement comprise comme un appui aux troupes d’Erin O’Toole.
En coulisses, on m’a raconté que de nombreux bloquistes étaient furieux et remettaient en question la proximité du Bloc avec les positions de la CAQ. On a donc assisté au rétablissement de l’axe indépendantiste durant les élections québécoises de 2022 — une manière de répondre à François Legault. Le chef bloquiste a fait campagne en faveur du Parti québécois, dont il a célébré la position assumée sur la souveraineté (alors que M. Blanchet lui-même n’était pas toujours aussi affirmatif deux ans plus tôt).
Le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a surpassé les attentes (qui étaient minuscules, disons-le) en menant une bonne campagne. Le résultat fut une nouvelle pire performance historique… mais les pronostics du début de la campagne étaient encore plus mauvais !
Malgré une représentation de trois députés à l’Assemblée nationale, Paul St-Pierre Plamondon est en train de s’imposer comme un incontournable du débat public. Il est intelligent, éloquent et totalement décomplexé par rapport à sa vision de l’avenir du Québec.
Ce vent de fraîcheur ainsi que la sortie de François Legault, lors des élections de 2021, en faveur des conservateurs, plutôt que du Bloc, semblent ainsi avoir convaincu Yves-François Blanchet d’ajuster son approche.
Il continue bien sûr à promouvoir les positions qui font consensus à Québec, comme il l’a d’ailleurs fait dans le dossier des transferts fédéraux en santé. Mais, plus largement, on remarque que le Bloc et le PQ n’ont jamais été autant au diapason depuis qu’Yves-François Blanchet est aux commandes. Ce dernier a même pris la parole au plus récent congrès du PQ. On doute qu’il soit invité à faire de même au prochain congrès de la CAQ…
La similitude des positions péquistes et bloquistes est frappante sur plusieurs enjeux. Par exemple, sur des questions comme l’intersectionnalité ou le multiculturalisme, les deux chefs y voient une menace canadienne envers le Québec.
À propos du chemin Roxham, le Parti québécois réclame sa fermeture, alors que le Bloc exige la suspension de l’entente sur les tiers pays sûrs en attendant de la renégocier, ce qui ferait en sorte, selon lui, d’améliorer la situation et de mieux répartir les passages irréguliers un peu partout au Canada, au lieu d’une entrée massive au Québec. Une forme de fermeture tranquille.
Yves-François Blanchet emprunte même depuis peu des tactiques à son collègue péquiste. D’abord, le chef péquiste s’est fait un point d’honneur de ne pas prêter serment au roi pour pouvoir siéger à l’Assemblée nationale. Le chef bloquiste a peu après proposé une motion à la Chambre des communes pour rompre les liens entre le Canada et la monarchie britannique.
Ensuite, le 22 janvier, le chef péquiste a rencontré celui qui avait été nommé nouvel entraîneur-chef de l’équipe de réserve du CF Montréal, puis honni pour avoir tenu des propos inacceptables en 2012 au sujet de la violence politique. Neuf jours plus tard, le chef bloquiste disait vouloir rencontrer Amira Elghawaby, nommée par le gouvernement Trudeau représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, alors qu’elle a déjà accusé les Québécois d’être des islamophobes. Geste tout à fait louable de la part de M. Blanchet, qui souhaitait se faire sa propre idée avant d’émettre sa position… mais qui n’était pas sans rappeler l’approche St-Pierre Plamondon.
Plus récemment, le chef péquiste est parti en tournée européenne pour faire la promotion de l’indépendance. Le chef bloquiste a lui aussi joué la carte des affaires étrangères en demandant de rencontrer la présidente de la Commission européenne, qui était en visite à Ottawa au début du mois. Il a fait la même requête en marge de la visite du président des États-Unis, qui sera de passage au Canada dans quelques jours. Il a également laissé entendre qu’il comptait se rendre à New York bientôt pour donner une perspective différente de celle du gouvernement Trudeau au sujet du chemin Roxham.
Ces trois exemples sont anecdotiques, mais ils démontrent que le Bloc a fait son nid. Il va continuer d’appuyer les positions consensuelles québécoises, qui seront la plupart du temps soutenues par le Parti québécois de toute façon. En fin de compte, il semble que pour le Bloc, le PQ soit redevenu l’allié naturel qu’on n’hésite plus à fréquenter en public.
Source: Lactualite